Prix unique du livre : une protection toujours pertinente ?

cf Librairies Indépendantes en Nouvelle-Aquitaine, aux côtés du SLF, d’ALCA et des autres associations régionales de librairies, souhaitent rappeler grâce à cette campagne d’envergure

Depuis plus de quarante ans, la France s’appuie sur un principe simple : un livre neuf doit être vendu partout au même prix, fixé par l’éditeur. Ce système, mis en place par la loi Lang, visait à éviter une guerre des prix qui aurait nui aux librairies indépendantes, et donc à la diversité de l’offre éditoriale. Ce modèle a fait ses preuves… mais le monde du livre a changé.

Une stabilité apparente, des tensions sous-jacentes

En 2025, la France reste l’un des derniers pays à maintenir un prix unique strict. Résultat : un réseau dense de librairies (plus de 3 500), une relative stabilité du chiffre d’affaires (+2,1 % en 2024) et une perception positive de la régulation dans l’opinion publique (1). Mais derrière cette façade stable, plusieurs failles apparaissent. La part de marché des plateformes comme Amazon ou Fnac.com ne cesse de croître. En 2024, près d’un livre sur deux a été acheté en ligne (2). Le prix unique n’empêche pas ces acteurs de dominer le marché par leur logistique, leurs recommandations personnalisées et leur puissance marketing.

Des effets contournés, une accessibilité en question

Le prix unique ne concerne que les livres neufs. Or le marché de l’occasion a explosé : +19 % en deux ans selon GfK (3). Des plateformes comme Momox, Vinted ou Recyclivre captent un public en quête de petits prix. Parallèlement, le prix moyen d’un roman neuf atteint désormais 21,50 €, un record (4). Ce niveau de prix exclut une partie du lectorat : étudiants, familles modestes, grands lecteurs. Le prix unique protège les librairies, mais pas nécessairement le pouvoir d’achat.

Autre angle mort : la concurrence des formats numériques et audio. Moins chers, parfois gratuits, ils redessinent les usages sans être concernés par la loi Lang. Dans un contexte de mutation profonde des pratiques de lecture, la régulation semble en décalage.

Vers une évolution du modèle ?

Pour certains professionnels, il ne faut pas abolir le prix unique, mais le faire évoluer. Étendre la régulation à l’occasion ? Imposer plus de transparence sur les algorithmes de recommandation ? Favoriser les librairies dans les commandes publiques ou la visibilité en ligne ? Les pistes existent, mais supposent une volonté politique forte et une mise à jour du logiciel culturel.

Car aujourd’hui, la menace n’est pas le discount. Elle est structurelle : invisibilisation des petits éditeurs, standardisation des pratiques de lecture, dépendance aux plateformes globales. Le prix unique ne pourra pas tout résoudre. Mais il peut encore être un levier, à condition d’être repensé à l’échelle de l’écosystème.

Sources

(1) Syndicat national de l’édition, Bilan 2024 du marché du livre
(2) CNL - Observatoire des pratiques de lecture, 2024
(3) GfK Market Data, Livres neufs vs occasion, avril 2025
(4) INSEE, Indice des prix du livre, février 2025

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