Focus : les bandes dessinées militantes ont-elles changé le paysage éditorial ?

Depuis quelques années, les rayons BD des librairies ne sont plus tout à fait les mêmes. À côté des séries historiques ou des romans graphiques intimistes, un genre s’est imposé : la bande dessinée militante. Écologie radicale, mémoire postcoloniale, violences policières, transidentités, anticapitalisme… les autrices et auteurs de BD investissent les luttes sociales avec une précision documentaire et une puissance narrative inédite.

Une explosion du genre, portée par de nouveaux lectorats

En 2024, les ventes de BD dites “engagées” ont progressé de 23 %, selon le Syndicat national de l’édition (1). Le succès d’ouvrages comme Écofascismes de l’Atelier Paysan, Radium Girls de Cy, Algériennes 1954-1962 de Swann Meralli et Deloupy, ou encore Le droit du sol d’Étienne Davodeau montre que les lecteurs ne fuient pas les sujets graves — bien au contraire.

Cette dynamique est portée par un lectorat plus jeune, plus urbain, souvent très actif sur les réseaux sociaux. La BD devient un support de formation, d’indignation, de partage. Elle circule en story, s’affiche dans les manifs, s’offre comme manifeste.

Entre témoignage, enquête et manifeste visuel

La force de ces BD : hybrider les formes. Certaines relèvent du récit de vie engagé (Toutes les histoires d’amour du monde de Baptiste Beaulieu), d’autres de l’enquête graphique (Cher corps d’Emma, Préparez-vous pour la bagarred’Allan Barte), ou du documentaire illustré (Palestine de Joe Sacco, toujours réédité). On y retrouve un souci de rigueur, mais aussi une volonté de faire sentir, voir, comprendre autrement.

Le dessin n’est pas un simple outil de vulgarisation. Il permet une incarnation, une mise en tension, une émotion. En ce sens, ces œuvres brouillent les lignes entre militantisme et littérature graphique — et redéfinissent ce qu’on attend d’un “livre politique”.

Une influence concrète sur l’édition

Face à ce succès, de nombreux éditeurs traditionnels revoient leur ligne. Futuropolis, La Ville Brûle, Steinkis, Dargaud, Delcourt : tous accueillent désormais des titres à portée sociétale. Certaines maisons, comme La Revue dessinée, ont même fait de ce positionnement un modèle économique pérenne.

Ce basculement impacte aussi les librairies. Les rayons “essai graphique” ou “BD sociale” se développent, parfois même avec des pôles thématiques. La frontière entre fiction, documentaire et pamphlet devient poreuse — et c’est ce flou, justement, qui alimente la richesse de cette production.

Sources

(1) SNE, Chiffres du marché de la BD en 2024
(2) Étude CNL / Ipsos, Les Français et la BD militante – janvier 2025
(3) Observatoire du dessin narratif engagé, ENSAD 2024

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